la fille aux 200 doudous... et autres pièces de théâtre pour enfants
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Acte 3 Amour et rencontres Astaffort en théâtre








Même décor (seulement des cartons déplacés)
Le premier lundi après les « rencontres d’Astaffort ».
Le téléphone sonne. Le rideau se lève. Lumières éteintes.

Lui, la voix pâteuse : - Ouais.

Lui, la voix pâteuse : - Ouais.

Lui, soudain réveillé : - Quoi onze heures ! Dis pas n’importe quoi.

Il tâtonne, allume la lampe à sa gauche, prend sa montre à côté, se redresse...

Lui : - Ah ouais, t’as raison.
Elle, doucement : - Qui c’est ?
Lui, tout en mimant la guitare de la main droite : - C’est à cause de ces satanées souris, elles nous ont empêchés de dormir.
Elle, doucement : - Mets le son.
Lui, doucement : - Hrra.
Elle, doucement : - Pour une fois que je peux rire, allez.

Il appuie sur la touche haut-parleur.

La voix au téléphone : - ...suppose, hier, tu as essayé de me joindre, mais je prenais du bon temps chez des amis, il faudra que je te les présente, et j’avais oublié de brancher le répondeur, tu as embrassé toute l’équipe de ma part...
Lui : - Tu es certain d’être bien vu ?
La voix au téléphone : - Quoi, quelqu’un t’a sorti des vacheries sur moi ?
Lui : - Pas plus que sur les autres ! Les anciens sont des anciens, les sélectionnés sont des artistes, les anciens de simples numéros !
La voix au téléphone : - Arrête ! Tantôt au téléphone, ils étaient charmants...
Lui : - Quand tu leur as dit qu’ils pouvaient loger chez toi dès qu’ils passent à Paris et que tu avais un copain qui pouvait leur faire une fausse note d’hôtel..
La voix au téléphone : - Joue pas les idéalistes, tu sais comment ça fonctionne, allez, raconte.
Lui : - Super, trois textes interprétés...
La voix au téléphone : - Des textes emmenés suivant mes conseils ?
Lui : - Bin... Oui.
La voix au téléphone : - Tu vois mes conseils, tu me dois une fière chandelle ! Tu vois si tu suis tout le temps mes conseils, on va faire une sacrée équipe nous deux...
Lui, en appuyant sur la touche discrétion : - Il m’énerve !
Elle : - Envoie-le promener, maintenant que tu connais Cabrel, tu n’as plus besoin de lui. En plus il ne sait pas jouer de guitare. Qu’est-ce que tu en as à faire d’un pianiste !
Lui : - Mais ça fait du bien d’entendre « c’est génial » !
Elle, riant : - C’est génial mon chou !
La voix au téléphone, plus fort : - Pourquoi ne réponds-tu pas ?
Lui, retirant le doigt de la touche discrétion : - Ah ! Tu es encore là, ça fait une minute qu’on n’entend plus rien, on croyait que tu avais dû poser le téléphone pour faire la bise à ton boss, j’allais raccrocher... Mais avant faut que je te dise... Tu as du boulot... Et urgent... Une interprète veut des musiques sur douze de mes textes.
Elle, appuyant sur la touche discrétion : - Tu me l’as pas dit, ça...
Lui, retirant son doigt de la touche discrétion : - Hrra.
La voix au téléphone : - Elle a un physique ?
Lui : - Voix, physique, blonde, dix-neuf ans, mince, un regard de braise, un vrai cristal de baccarat, tout pour cartonner...
La voix au téléphone : - Tu lui as dit que tu connais un super compositeur.
Lui : - Qui travaille super vite et va lui proposer douze musiques dans un mois.
La voix au téléphone : - Je ne sais pas si je vais avoir le temps, tu sais... Je suis très pris par le boulot... Mais oui, naturellement, je vais essayer, lesquels elle préfère ?
Lui : - Je t’envoie tout par la poste, y’a des textes que tu ne connais pas, ils seront sur l’album.
La voix au téléphone : - Elle veut faire un album, super !
Lui : - Et de la scène.
La voix au téléphone : - Elle habite où ?
Lui, après avoir hésité : - Toulouse.
La voix au téléphone : - Bon, je vais faire le maximum... Tu n’as mis personne d’autre sur le coup ?
Lui : - Attends, on a bien dit qu’on forme un duo. Tu es à 100% sur mes textes...
La voix au téléphone, après une hésitation : - Ouais, ouais... Je te demandais juste comme ça pour dire de parler... Ah zut ! Big big boss, qu'est-ce qu’il me veut encore... Allez bisous, on se voit à La Rochelle en juillet de toute manière...
Lui : - Tchao... Et au boulot ! (il raccroche)
Elle : - Tu recommences ! Plus de tchao, s’il te plaît... Allez bisous... Je suis sûre qu’il en est...
Lui : - Même ton frère tu te le demandes, alors !
Elle : - Oui, mais mon frère c’est différent, c’est toi qui me l’as dit, il a été trop couvé par maman est folle...
Lui : - Peut-être qu’il a aussi eu sa maman est folle... Après tout s’il veut rencontrer ton frère !
Elle : - Tu as déjà été avec un mec ?
Lui : - Comme si !
Elle : - Ah, parce que passer après un mec, ça je pourrais pas... C’est génial !... En tout cas on en dira pas autant de ses musiques, c’est tout le temps la même chose.
Lui : - Mais bon, si ça fait un CD, il faut bien un début, avoir quelque chose à montrer, pouvoir dire la musique est classique, la voix pas terrible...
Elle : - Surtout si c’est la vieille qui chante.
Lui : - Mais non, elle s’amuse, elle est trop occupée avec son mari, ses enfants et le karaoké.
Elle : - Alors, qui va les chanter ?
Lui : - Quand ça sera prêt, comme il a du fric, on trouvera bien une interprète.
Elle : - C’est qui, dix-neuf ans, blonde, cristal de j’sais plus quoi, un physique ?
Lui : - Toutes les grandes réussites artistiques passent par le bluff. Il me croit, il va bosser. Il va bosser, mes textes auront des musiques, seront de vraies chansons. Et pendant ce temps je vais écrire des textes pour les autres. Ils veulent du gnangnan, ils vont en avoir. Dès qu'on va à Cahors j’achète un dictionnaire de rimes ! Je peux faire aussi gnangnan qu’eux !
Elle : - Gnangnan, tu veux dire des belles chansons d’amour ?
Lui : - Cent, pas une de plus ! Je serai le stakhanoviste de la chanson !
Elle : - Recommence pas avec tes mots compliqués... Si je te connaissais pas d’avant je croirais que c’est Cabrel qui t’a tourné la tête.
Lui : - Stakhanoviste, il doit penser que c’est l’avant-centre d’une équipe Russe !
Elle : - En tout cas je vois que tu es un sacré baratineur quand tu t’y mets, il a tout gobé ! J’espère que tu n’es pas comme ça en amour ! Enfin, je te donne pas tort, parce qu’avec lui tu es mal parti ! Tu crois qu’il va le sortir son fric ? En plus il m’a l’air radin.
Lui : - L’important c’est d’avancer, avoir des projets !
Elle : - Et si ça marche pas tout de suite, tu vas pas te décourager ?
Lui : - Personne ne m’attend. C’est à moi de m’imposer. Personne n’attend personne. Ceux qui progressent sont ceux qui continuent... Continuer malgré l’échec, c’est là le secret, toujours viser plus haut... L’histoire ne retient que les exceptions. Il faut être l’exception... Le talent, dans la chanson, c’est du travail et de l’obstination. Mais je vais écrire un succès, t’inquiète pas, c’est décidé !
Elle : - Ça rapporte combien un succès ?
Lui : - Un château chauffé !
Elle : - Je croyais que tu t’en foutais de l’argent !
Lui : - L’argent oui... La mesquinerie d’amasser miette par miette, mais celui qui peut faire le grand saut, pourquoi s’en priver ?
Elle : - Mais ce que tu viens de me dire là, tu crois que tu es le seul à le penser ?
Lui : - Qui d’autre verrait ainsi la vérité ? Et ceux qui réussissent préfèrent la maquiller pour garder le secret, préfèrent s’autoproclamer « un peu médium », comme si leurs gnangnanteries venaient d’une autre galaxie ! Ils sont tous accros à la télévision, ils écoutent même religieusement le baratin des attachées de presse.
Elle : - Alors tout le monde peut réussir à écrire des chansons ?
Lui : - Faut quand même pas exagérer ! Mais celui qui veut porter un masque sera condamné à le porter, sauf s’il est assez fort pour un jour dire « stop ».
Elle : - Là j’ai pas suivi.
Lui : - Je t’expliquerai un jour... Allez, va au froid, je t’expliquerai devant des tartines. Et crois en moi !
Elle, convaincue : - Oui mon amour.

Elle se lève... Bonnet, écharpe, pull... Et sort

Lui : - Un masque ! Porter un masque... Révéler la théorie du masque... Mais pas au point de confier la vérité quand même !
La vérité... La vérité, tu parles, qui oserait avouer la vérité ?
Qui oserait avouer tout ce qu’il faut faire pour avoir trois chansons retenues le samedi soir...
Mais celui qui ne joue pas le jeu n’en a qu’une... Alors !...
Connard de compositeur va... Parce qu’il est ingénieur, parce que ses parents croulent sous le fric, il se croit compositeur, parce qu’il arrose des crétins on lui sourit... Et on me sourit !
Qui peut être dupe de ça ?...
Mais il faut révolutionner ce monde...
Ah internet, si je m’y connaissais en informatique, c’est sûrement la solution... Sinon c’est trop verrouillé...
Avoir cent chansons, être connu, et après donner un coup de pied dans la fourmilière, ils ne m’auront pas... Ils croient m’avoir... Avec leurs magouilles jusqu’aux...
Je devrais peut-être me mettre à l’informatique...
J’arrive trop tard ou trop tôt... Celui qui saura utiliser internet... Les crétins ne vont pas le rater... Celui-là, je lui tire mon chapeau s’il arrive à percer dans la chanson sans faire la pute...
Bon il me faut cent textes chantés... Peu importe le niveau, peu importe qui ! Je suis Rastignac aux pieds d’Astaffort. Après je ferai comme je voudrai, je fixerai les règles. Il me faut payer le prix de ma liberté... La liberté ! Ah !... (il rêvasse)

Elle ouvre la porte, passe la tête.

Elle : - Alors, et ces chansons gnangnantes, je les attends !

Elle lui lance le pain.

Elle : - Trois tartines... Regarde mon nez ! Gelée que je suis. Les mois se suivent et se ressemblent.

Elle referme la porte. Il pense à des rencontres adultères. Déjà !

Lui : - Les années aussi, parfois ! Mais courage ! Le succès n’a jamais été aussi près !

Il prend le plateau à côté du lit, un couteau... Tout en poursuivant ses réflexions...

J’ai encore rêvé d’elle ! Elle est belle, rebelle, spirituelle, intellectuelle. Mais si elle n’était pas intègre, jamais je ne l’aurais aimée au point de lui susurrer : je veux être l’homme de ta vie. Bon, ça rime pas ! Mais je trouverai sûrement la rime avant la femme.

Il rêvasse...
Elle arrive doucement, le regarde, surprise.

Elle : - Ça va ?
Lui, surpris : - Oui !... Pourquoi ?
Elle : - J’avais oublié que chaque matin je te retrouve dans cet état... A quoi tu penses ?
Lui : - Tu crois que ça s’écrit tout seul des chansons !

Elle pose le plateau sur le lit.

Elle : - Tu pourrais dire merci.
Lui, mécanique, encore dans ses visions : - Merci mon amour.
Elle : - Neuf jours sans personne pour faire mes tartines, ça m’a manqué !

Il croque dans sa première tartine, et le petit-déjeuner débute.

Elle : - Et toi, ça t’a manqué qu’on t’apporte pas ton p’tit déj au lit ?
Lui : - Mais on me l’apportait !
Elle : - Dix-neuf ans, un physique ! Arrête, sinon je vais me poser des questions. Tu sais que j’ai confiance en toi... Mais faut pas me dire des conneries sinon ça va tourner dans ma tête et je vais finir par croire que tu m’as trompée.
Lui : - Pourquoi tu déjeunes pas simplement, en profitant de l’instant. Carpe Diem ! Profite de l’instant présent.
Elle : - Oh, tu es vraiment trop calme ! Tu as toujours été comme ça ?
Lui : - Je plains celles et ceux qui croient les chansons à la con !
Elle : - Qu’est-ce que tu veux dire ?
Lui : - Celles et ceux qui pensent, par exemple, que ça ne change pas un homme !
Elle : - Maman est folle, elle a dit, c’est bien vrai ça, un homme, ça change pas, c’est jamais mature.
Lui : - Mais personne ne t’oblige à la croire !

Elle prend une publicité à côté du « lit », la lui tend, la pose finalement entre eux.

Elle : - Tiens, tu t’es fait avoir avec ta perceuse, là elle est moitié prix.
Lui : - Mais c’est pas la même qualité.
Elle : - Tu t’y connais en perceuses, maintenant ?
Lui : - Non, mais j’aime pas l’idée de m’être fait avoir !

Elle : - Tu vas te laver après ?
Lui : - Tu rigoles !
Elle : - Moi je me suis lavée hier...
Lui : - C’est cher pour ce que c’est, mais on a au moins le chauffage à Astaffort... J’ai pris de l’avance pour trois mois ! Chaque jour deux douches.
Elle : - Ah, le rêve ! Tu vas le dire à ta soeur, trois dans la salle de bains.
Lui : - Trois dans la salle de bains !... Tu as invité les vieux quand j’étais chez Francis ?
Elle : - Arrête, trois degrés... Et puis dis pas chez Francis comme si tu étais son pote !
Lui : - Je l’ai vu sans maquillage tu sais ! Et j’ai mangé à sa droite de la viande de supermarché. C’est pas Jean-Paul Sartre ! Même avec des lunettes.
Elle : - Me parle plus de celui-là, tu vois j’ai retenu son nom ! Tu aimerais pas qu’elle vienne vivre par ici ta soeur ?
Lui : - Parle pas de malheur !
Elle : - Pourquoi ? Elle est gentille ta soeur.
Lui : - Il faut fuir la famille et les gens tristes.
Elle : - Alors on se retrouve tout seul.
Lui : - Parfois on a la chance d’être deux. Si on rencontre l’âme soeur. « Les âmes soeurs finissent par se trouver quand elles savent s’attendre » a écrit Théophile Gautier. (il plane un peu, ailleurs) L’amour dans la sérénité quoi.
Elle : - Tu crois que l’amour ça résiste au froid ?
Lui : - L’amour... L’amour... C’est quoi l’amour ?
Elle : - Je t’aime moi !

Elle le regarde en attendant au moins « moi aussi je t’aime ».

Lui : - Ça ferait trop téléphoné si je te répondais, moi aussi !
Elle : - Tu aurais pu me téléphoner plus souvent !
Lui : - Ça fait pas encore cent quatorze fois que tu le déplores !
Elle : - Tu me parlais pas comme ça à Douai.
Lui : - Tu ne te souviens déjà plus comment c’était ! Il fallait aller à l’hôtel pour enfin ne pas avoir quelqu’un sur le dos ! Quand ta mère nous disait « restez-là, au moins ici c’est gratuit », il fallait qu’elle nous emmerde jusqu’à plus de minuit. Son gros nous assommait avec ses lectures financières qu’il ne comprenait jamais et ton frère détaillait ses prétendus exploits sexuels jamais confirmés pas son monstre.
Elle : - Les gens normaux ne se parlent pas comme ça, si ?
Lui : - Tu as dit « les gens normaux ».
Elle : - Bin oui, les gens qui travaillent, qui rentrent, mangent, regardent la télé et vont se coucher.
Lui : - C’est une analyse sociologique que tu me fais là !
Elle : - Quoi ?
Lui : - Tu as toujours vu les gens vivre comme ça ?
Elle : - Maman est folle, à chaque fois qu’elle a eu un homme, c’était comme ça... Et chez l’oncle c’est pareil... C’est quoi de ton truc de philosopher ?... Tu as appris ça où ?
Lui : - Dans les livres... Et il faut toujours essayer de vivre ce qui est écrit dans les meilleurs livres !
Elle : - Ah ! La vieille elle m’a dit, ça sert à rien que tu ailles voir Nino Ferrer, ça fait au moins vingt ans qu’il fait plus rien.
Lui : - Elle t’a dit qu’il ne fait plus rien !
Elle : - Oh si, il fait des trucs, mais c’est nul, ça marche pas. Il a de la chance d’avoir fait des trucs bien avant alors il vit sur ça.
Lui : - Des trucs bien ? Gaston et les Cornichons ?
Elle : - C’était avant de vivre par ici. Peut-être que le climat est pas bon pour la chanson. De toute façon quand on le voit à la télé c’est que pour ça...
Lui : - Ça doit être drôle mais les gens ne le comprennent pas et lui non plus sûrement : le présentateur lance une image d’archive et ensuite interviewe un mec ressemblant vaguement au jeune dynamique, un mec qui pourrait être le grand-père du type qui chantait les cornichons. Etre prisonnier de son image ! Porter un masque à vie !
Elle : - En plus elle a dit qu’il peint... Un chanteur peindre ! C’est vraiment que la chanson ça marche plus.
Lui : - Pour une fois qu’un guignol de variété a la volonté de ne pas se copier, de grandir un peu, de sortir de l’adolescence, de créer vraiment, de chercher. Mais visiblement pas au point de poser son vieux masque !
Elle : - En tout cas, ça marche pas... Regarde Cabrel, c’est tout le temps la même chose mais ça marche !
Lui : - Mais nous n’avons qu’une vie ! Si c’est pour la passer avec le masque d’un succès de potache !
Elle : - En tout cas, je suis sûre que Cabrel il a plus de sous que Nino Ferrer.
Lui : - C’est le critère de qualité actuel !...
Elle : - Au moins il en profite, il a un vrai château, et bien chauffé je suis sûre.
Lui : - Mais dans cent ans il ne restera rien de ses ritournelles.
Elle : - Si c’est pour avoir du succès quand on est mort, ça sert à rien...
Lui : - Je te rassure, il ne restera rien non plus de l’autre, art mineur.
Elle : - J’ai pensé, pendant que tu étais là-bas...
Lui : - Et ne t’arrête surtout pas !
Elle : - J’ai pensé, pourquoi tu prends pas des cours pour écrire des chansons ?
Lui : - Des cours !
Elle : - Oui, je me suis souvenue, un jour j’ai vu à la télé un mec qui donne des cours, il paraît qu’il a écrit plus de cinq mille chansons lui, et après il suffit d’une heure pour écrire une chanson. Ça doit être pour les gens comme toi, qui restent des journées à tourner en rond.
Lui : - En une heure, tu crois que ça donne quoi ?
Elle : - Bah, des chansons. Lui en a écrit cinq mille... Des trucs connus, je sais plus quoi, mais des trucs vraiment connus.
Lui : - Les cours... Ça ne se donne pas... C’est l’auteur qui doit les prendre, en lisant, en écoutant, en réfléchissant...
Elle : - C’est pour ça que tu fais compliqué !
Lui : - Ne t’inquiète pas, il va exister, être chanté, l’auteur seul en face du monde, seul en face de Créon, il sera l’Antigone sans silicone.
Elle : - Créon, c’est le surnom de Cabrel ?
Lui : - Un jour, si tu as le temps, tu liras Antigone.
Elle : - J’aime pas non plus les bandes dessinées.
Lui : - Pourtant Jean Anouilh dessinait bien.
Elle : - Le jockey ?
Lui : - Non, son frère.
Elle : - Il n’a jamais parlé de son frère Léon Zitrone.
Lui, il la regarde étonné : - Tu l’as fait exprès ?
Elle : - Quoi ? J’ai dit une connerie ? Léon Zitrone, tu regardais la télé quand tu étais plus jeune, c’est lui qui commentait les courses de chevaux et les mariages des reines.
Lui : - Avec les rois ?
Elle : - J’sais pas... Bin oui, tu vois, à force que tu m’poses des questions comme si j’étais à la télé, j’sais plus c’que j’dis... Tu me stresses !... Qu’est-ce que j’ai fait exprès ?
Lui : - Antigone / Silicone / Zitrone
Elle : - Alors, c’est bien, tu devrais m’embrasser quand je dis quelque chose de bien.
Lui : - J’ai trop d’avance !...
Elle : - Trop d’avance ?
Lui : - Laisse, je te raconterai...
Elle : - J’ai remarqué, y’a pas qu’avec moi que tu te moques. Tu te prends pour un génie ! C’est une maladie ça, non ?
Lui : - « Un génie ? En ce moment cent mille cerveaux se voient en songe génies comme moi-même et l’histoire n’en retiendra, qui sait ? même pas un ; du fumier, voilà tout ce qui restera de tant de conquêtes futures. »
Elle : - On voit que tu es un fils d’agriculteur, de bouseux comme on dit chez nous, tu parles toujours de fumier.
Lui : - Mais non, je te citais Pessoa.
Elle : - Tu pourrais citer autre chose qu’un mec qui picolait.
Lui : - Tu sais que Fernando Pessoa picolait !
Elle : - Maman est folle en a acheté une bouteille... Même que tu as aimé.
Lui : - Une bouteille ?
Elle : - Bin oui, c’est rouge et ça se met dans du jus d’orange.
Lui, qui éclate de rire : - Pessoa. Fernando Pessoa.
Elle : - Pourquoi, c’est pas le même ?
Lui : - Passoa, dans le jus d’orange !...
Elle : - Ah !
Lui : - Je pourrais même pas en faire une chanson. Si j’écrivais du théâtre ce serait une bonne réplique... Quoique, on accuserait l’auteur d’avoir voulu ridiculiser l’absence de culture poétique !...
Elle : - Ah, tu n’as qu’à mieux articuler... Je te l’avais dit que je suis pas une intellectuelle.
Lui : - Ahhhh !
Elle : - Quoi Ahhhh ! Tu regrettes déjà de m’avoir choisie pour le meilleur et pour le pire comme dit maman est folle...
Lui : - Sans alliance...
Elle : - Tu me demanderas en mariage un jour ?
Lui : - Je croyais que tu étais contre.
Elle : - Oh, pas tout de suite... Pour les enfants, tu crois pas que ce serait mieux...
Lui : - Je ne suis rien. Jamais je ne serai rien. Je ne puis vouloir être rien. Ceci dit, je porte en moi tous les rêves du monde
Elle : - C’est de toi ou de l’autre ?
Lui : - L’autre... Ah, c’est l’amour qui est essentiel !... L’homme n’est pas un animal mais une chair intelligente, quand bien même il lui arrive d’être malade.
Elle : - Je préfère quand tu parles d’amour... Mais tu crois qu’il va falloir attendre l’été pour le refaire vraiment... Parce qu’avec nos pull-overs...
Lui, pour le public : - Dose... Déjà !
Elle : - Alors quand il fera bon, tu me fais un enfant ?
Lui : - Tu crois qu’il fera bon un jour.
Elle : - Tu as toujours la phrase pour pas répondre.

Elle se lève...

Elle : - Tu sais où je vais.

Elle sort

Lui : - Un enfant ! Déjà ! Bon, c’est vrai, plus vite on le fera, mieux ce sera ! Une chanson qui marche, ça rapporte combien ? Et juste après, tu me fais un enfant !
Ah ! Si j’avais rencontré une chanteuse belle rebelle spirituelle intellectuelle intègre ! Astaffort, pas une âme, que des corps !
On a beau avoir chacun sa raison... La mienne est existentielle quand même ! Mais elle !
La certitude de se goinfrer d’une part du gâteau de la chanson !
Existentielle, c’est quand même plus acceptable. C’est même excusable ! Faut m’y résoudre : partir à la recherche de quelqu’un vraiment bien, c’est remettre l’enfant à trop loin... A jamais peut-être ! Quitte à tricher, au moins ne tricher qu’une fois !
Est-ce que tu grandiras avec un peu de ce que la vie m’a appris ?
Ou est-ce qu’elle va se servir de toi comme vengeance contre moi ?... Parce que chez ces gens-là !... (il sourit) Alors j’écrirai des chansons pour que tu les apprennes à l’école !
Finalement, ma vie c’est le sud et la chanson ! L’Amour... Ah ! si ça ne dépendait que de moi !
Ah ! Etre vraiment amoureux... Est-ce qu’ils existent les enfants de l’Amour ? Etre vraiment amoureux...
Pas... Ouais... Elle est pas mal... Et après avoir expérimenté toutes les possibilités de l’intimité, toujours penser « J’ai encore quelque chose à découvrir. » Etre vraiment amoureux... Jusqu’à en bafouiller, les idées pas claires à part « je t’Aime ».
Dire pour la vie ou ne pas le dire. Mais que ce soit évident.
Et là, avoir un enfant ! Un enfant de l’Amour.

Elle rentre...

Elle : - Alors, tu écris des chansons en mars, tu rejointes en avril et tu me fais un enfant en mai ?

Il bâille

Elle : - C’est ta réponse ! Arrête tu vas me faire bâiller aussi (elle bâille)
Lui : - Un bon bâilleur fait bâiller... C’est donc mon tour d’aller aux toilettes (il sourit).
Elle : - Tout ça pour pas répondre... Tu vas revoir ce que c’est de traverser la grande pièce !
Lui : - Mais j’ai mon peignoir.

Il se lève, enfile son peignoir...

Elle : - Le peignoir d’une ancienne !
Lui : - Les objets n’ont pas d’âme... Je garderai même la lampe que tu m’as offerte !
Elle : - Quoi, tu penses déjà à me quitter !...
Lui : - Tu n’as pas d’humour hein !
Elle : - On sait jamais quand tu plaisantes ou quand c’est vraiment pour de vrai.
Lui : - Allez, je te laisse à tes réflexions. C’est quand même mieux que les abdos !

Il sort.

Elle : - Je rentre bien calme, j’y ai pensé pendant une semaine à mon programme ! J’aurais dû ajouter et je te laisse lire le samedi et le dimanche. Pépé allait bien au PMU, lui peut lire.
Je suis sûre qu’il pense déjà à me virer. J’espère au moins qu’il n’a pas rencontré une chanteuse ! Non, il pourrait pas me faire ça. De toute façon maman est folle l’avait dit, « hum, tu as pris un trop intelligent, un homme faut pas que ça réfléchisse trop. »
Bientôt qu’il me traitait de bonne pisseuse ! Il croit que j’ai pas compris. Cousin me l’a déjà faite celle-là ! Mais j’ai dit je m’énerve plus.
Mais s’il avait osé ! Ç’aurait été la goutte d’eau qui aurait fait déborder le verre. Y’a des limites quand même ! Et il aurait eu sa première scène de ménage. Ç’aurait peut-être été mieux ! On se serait réconcilié en faisant vraiment l’amour.
Chez maman est folle au moins je regardais la télé... Mais bon, maintenant que le frangin est parti, oh non, j’aurais pas supporté...
Tu parles le sud... Et il va vraiment écrire des chansons ! Comme si quelqu’un va chanter ses trucs... Ah ! S’il pouvait faire un truc qui ramène du fric... Bon là il semble décidé à enfin faire comme les autres. Ça doit pourtant pas être compliqué pour lui à faire des trucs comme Cabrel ou Hervé Villard. Même avec du Francis Lalanne, on pourrait refaire la maison, je suis sûre.
Parfois on dirait qu’il s’en fout de moi.
Une fois qu’il a ses bouquins, son stylo et ses papiers.
Parfois j’ai l’impression qu’il me prend pour une conne.
Y’a que son chien qui montre qui m’aime... Heureusement que je suis là pour lui.
Je suis sûre que si ça marche ses chansons, il va me jeter comme une vieille chaussette.
Et si ça marche pas je suis partie pour avoir froid toute ma vie.
Maman est folle avait raison, c’est des égoïstes les intellectuels. Jamais il m’offrirait des roses.
Oser me dire qu’à son institutrice il lui offrait des roses et jamais m’en offrir... C’est pas une excuse l’argent... Il avait de l’argent quand il m’a connue. Ah ! Comme j’ai rêvé... Ah ! Comme j’ai rêvé quand il m’a dit, « on va acheter une maison dans le sud... » Je m’en foutais alors qu’il m’offre pas des roses, il me faisait rêver... En plus, j’aime pas les roses. J’aime que les chrysanthèmes, parce que ça rime avec je t’aime. Moi aussi je suis poète. Mais il paraît qu’il faut pas le dire, qu’on aime les chrysanthèmes, ça porte malheur. Comme de passer sous une échelle.
Maman est folle a raison, il aurait dû mettre la maison à nos deux noms, au moins j’aurais été sûre de le garder.
J’aurais dû oser lui dire. Je croyais qu’il allait le faire. Je suis trop conne ! Peut-être que c’est parce que c’est l’hiver. Ça ira mieux en été... Je me baladerai au moins, et il redeviendra peut-être comme quand on allait à l’hôtel... J’ai besoin qu’on me fasse bien l’amour moi, on dirait qu’il comprend pas !
Allez ma grande, faut le motiver ton homme, qu’il écrive des bonnes chansons... Après la pluie le soleil, comme dit mère-grand.

Elle reste pensive
Il rentre... Revient s’installer sur le lit...

Lui : - Qu’est-ce qui ne va pas ?... Tu as l’air pensive... (souriant) Souvent ça ne te réussit pas !
Elle : - Moque-toi, avec tes chaussettes ! Tu exagères, tu pourrais mettre des chaussettes pareilles... (il a donc des chaussettes dépareillées) Tu feras un effort au moins quand maman est folle sera là.
Lui : - Ah ! Comme le conseillaient déjà les grands philosophes stoïciens... Il faut toujours prendre les chos... ettes comme elles viennent !
Elle, indifférente à cette saillie : - Partir dans le sud pour dormir avec des chaussettes !
Lui : - Elle dort avec des chaussettes
Parce qu’elle a trop froid
Avec des socquettes
C’est pas la joie
Peu importe le temps
Elle râle comme un éléphant...
Tu vois, j’essaye d’écrire une chanson sur toi... Cent chansons à la con, et viva la liberté !
Elle : - Eléphant ! Gazelle plutôt je suis ! Tu aimes bien te moquer de moi, tu es un moqueur ouais. Tu appelles ça une chanson d’amour... C’est pas toi qui dirais « ma femme m’inspire toutes mes chansons. »
Lui : - Parce que tu le crois !
Elle : - Pourquoi, tu crois qu’il a une femme dans chaque port ?... Tous les mêmes, les hommes, dès qu’ils ont de l’argent, leur femme leur suffit plus.
Lui : - Comme dit maman est folle.
Elle, souriant : - Ah ! Tu l’as déjà entendue dire ça.
Lui : - Non, elle a jamais osé devant moi, elle sait bien que j’aurais trouvé une réponse pour la ridiculiser...
Elle : - Bin alors, comment tu sais que ça vient d’elle ?
Lui : - Dis-toi que c’est la transmission de pensée.
Elle : - Tu y crois à ces trucs-là ?
Lui, joignant les mains style bouddhiste : - Lumière, sérénité, intégrité.
Elle : - Arrête, si je te connaissais pas je te prendrais pour un fou, avec tes mots bizarres.
Lui : - Un jour je comprendrai peut-être la quintessence de mes propos.
Elle : - Qu’est-ce que tu veux dire ?
Lui : - Que j’ai du travail pour devenir ce que je veux être.
Elle : - Pourquoi, tu n’es pas bien comme ça ?
Lui, la voix « asiatique » : - Celui qui s’arrête au milieu du chemin, c’est qu’il ne mérite pas d’aller plus loin.
Elle : - Arrête, tu vas me faire peur... Non, tu me fais rire... (elle rit) Qui est-ce qui t’a appris ces conneries ?
Lui : - Quand on passe ses journées avec des gens exceptionnels, on voudrait au moins mériter leur ombre !
Elle : - Tu passes tes journées avec les araignées, et elles s’en foutent, elles font leurs toiles.
Lui : - Balzac, Proust, Zola, Auster, Stendhal, Kundera, Modiano, Kafka, Le Clézio...
Elle : - Mais ils sont morts tes gens exceptionnels !
Lui, souriant : - Tous plus vivants que les pantins de naphtaline ! Plus je côtoie les gens, plus je me sens des affinités avec les personnages des romans ! Etienne Lantier, Fabrice del Dongo, Daniel D’Arthez, Docteur Pascal, mes frères, mes guides !
Elle : - Qu’est-ce tu en as à faire des idées des autres... Si tu as des idées tu les écris, sinon moi aussi je peux le faire de recopier les idées des autres (il joint les mains style Bouddhiste). En tout cas, aujourd’hui, tu n’as plus d’excuse avec ton dos !
Lui : - Astaffort m’a rendu plus fort !
Elle : - Tu vois, tu peux faire de l’humour. Pourquoi tu écris pas plutôt des sketchs, ça doit bien payer aussi... Alors, j’ouvre les volets !
Lui : - Tu vois, tu peux prendre une bonne initiative.

Elle va retirer la couverture, ouvrir la fenêtre, les volets, en commentant.

Elle : - Tu aimes bien me regarder travailler !... Oh, on dirait qu’il va faire beau... Il fait moins froid dehors que dans la cuisine.
Lui : - Tu vois, il ne faut jamais désespérer... Du temps !
Elle : - La vieille est déjà sur sa terrasse, elle me voit pas... Tu sais qu’elle est encore plus myope que le boulanger mais elle dit que ça la vieillirait des lunettes, alors elle veut pas en porter... Je vais essayer d’allumer toute seule le feu mais pendant ce temps-là tu m’écris une chanson avec plein plein de « je t’aime » dedans ! Allez, je te laisse... « travailler ».

Elle l’embrasse, prend son manteau... Et sort.

Lui, voix très grave : - Personne n’est à l’abri. De passer sa vie.
Avec quelqu’un de si différent. Qu’il déteint forcément.
(joie soudaine) Mais si je fais les choses que j’aime vraiment, je finirai forcément, par croiser les gens, qui comme moi veulent vivre autrement... (perplexe) Vais-je y parvenir ?... Ah ! Vivre d’Art et d’Amour !...

Une grande pause avant sa référence finale à Bertolt Brecht :

Est-ce qu’elle va m’inoculer la graine féconde
D’où surgit la bêtise humaine qui nous inonde ?

Elle passe la tête à la porte.

Elle : - Alors glandeur, tu viens allumer le feu, il veut pas démarrer, le papier est trop humide. Deux degrés dans la cuisine. Glandeur, je suis contente de ma trouvaille...
Puis arrête de te casser la tête, écris des chansons simples avec plein de « je t’aime »... Au moins on aura des sous ! (très contente d’elle ) Allez glandeur, viens allumer le feu à ta petite chérie.

Elle repart. Il reprend.

Lui : - Est-ce qu’elle va m’inoculer la graine féconde
D’où surgit la bêtise humaine qui nous inonde ?


Rideau - Fin


suite : Pourquoi est-il venu ? Comédie Huit femmes cinq hommes


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