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Acte 1
Le narrateur :
Pascal, Blaise Pascal, est né le 19 juin 1623 à Clermont-Ferrand. En France donc. Même une personne côtoyée assidûment durant des années, quand on la présente en quelques phrases, on peut être certain qu’elle contestera cette description. Au moins pour nous taquiner ou embêter, suivant le caractère !
Même une personne aimée, avec qui, de la rencontre à la rupture, on a vécu des phases proclamées « bonheur parfait », « harmonie », « accord idéal », même cette personne-là, oser la décrire s’avère une tentative périlleuse.
Quant à Marjorie, quel portrait en dresser ?
Marjorie (assise par terre, comme au pied d’un arbre, soudain éclairée)
Nous ne nous sommes pas croisés par hasard. Pourquoi ? Je l’ignore, tu l’ignores. Acceptons notre ignorance, n’essayons pas de la remplacer par des hypothèses. Et vivons l’instant. Vivons l’éternité de l’instant.
Le narrateur :
Faire revivre ici Blaise Pascal est donc un véritable défi.
(silence)
Même si un peu de l’ADN du Blaise Pascal décédé le 19 août 1662 nous le reconstituait, ce ne serait jamais le penseur du 17eme siècle.
Malade dès l’enfance, Blaise Pascal avait intériorisé l’inévitable brièveté de sa vie. Il est mort à 39 ans.
Mais Blaise Pascal reconstitué serait sauvé par notre médecine ! Notre héros ne saurait être limité par sa constitution physique. On ne meurt plus de fragilité !… En France… Sauf exceptions !
Né en France durant la seconde moitié du 20eme siècle, Blaise Pascal aurait naturellement été imprégné par cette époque, des trente glorieuses au sarkozysme bouillonnant en passant par la gauche utopiste, sa cousine totalitaire et sa consœur caviar. Et nul doute qu’à dix-sept ans, Blaise Pascal aurait défilé dans les rues avec ses condisciples, lors d’une mémorable, forcément mémorable, inoubliable, formidable, inégalable mobilisation contre une inacceptable tentative de réforme, forcément inacceptable, une tentative de réforme de l’Education Nationale.
Marjorie :
Sortir de l’agitation est sûrement la vraie révolution. Une évolution nécessaire.
Le narrateur :
Alors qu’en réalité, à 17 ans, en 1640, Blaise Pascal publiait Essai pour les coniques. C’est de la géométrie, les coniques. (silence)
Ces difficultés ne sauraient nous décourager. (silence)
Si le pari de Pascal est gagné, il nous observe du paradis, et va sûrement s’indigner d’être résumé par un seul aphorisme de ses Pensées… Qui plus est, ce n’est pas :
Marjorie :
Donc seuls les rentiers peuvent se le permettre. Tu comptes hériter ?
Blaise Pascal, alors invisible, dans l’ombre, est éclairé :
« Il n’y a que deux sortes de personnes qu’on puisse appeler raisonnables : ou ceux qui servent Dieu de tout leur cœur parce qu’ils le connaissent, ou ceux qui le cherchent de tout leur coeur parce qu’ils ne le connaissent pas. »
Le narrateur :
Pour les attentifs auxquels les références sont indispensables, je précise : cette Pensée figure au numéro 194 tiret 427 dans la classification usuelle. (silence)
Comme les nostalgiques de Blaise Pascal préfèrent l’hypothèse où il nous observe, l’inviter était plus pratique. Je vous présente donc monsieur Blaise Pascal, bien portant malgré ses quelques siècles de paradis. (silence) Sous vos applaudissements ! Excusez-moi, je divague ! Et j’en profite pour apprendre aux plus jeunes qu’au XVIIe siècle, la télévision n’existait pas : il est donc possible de vivre sans écran devant les yeux, hé oui les enfants, les ados, les parents, les retraités ! (silence)
Le pari de Pascal… Un appel aux incroyants… Vous avez tout à gagner à croire, même à croire par simple pari, alors que vous avez tout à perdre en ne croyant pas. Au grand jeu de l’éternité possible, les paris sont ouverts ! (silence)
Marjorie :
On appelle ça également le paradis des hypocrites ; je crois non par convictions profondes mais en pensant qu’un Dieu pourrait être naïf au point de m’offrir le paradis en échange de ce petit arrangement avec mes véritables convictions, en échange de ce raisonnement présenté juste mais reposant sur un mensonge, la volonté de piéger Dieu s’il existe, de lui soutirer une carte Paradis.
Le narrateur :
Quant à mon Blaise Pascal à moi, c’est un extrait du paragraphe 139, tiret 136, qui me le rend essentiel :
Blaise Pascal :
Tout le malheur des hommes vient d’une seule chose, qui est de ne savoir pas demeurer en repos, dans une chambre.
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